Evelyne : « Je me bats pour que mes enfants puissent s’intégrer dans la société malgré leur handicap »
Seule avec ses quatre enfants, dont trois sous le prisme de l’autisme, au quotidien, Evelyne éduque, porte et soigne. Si l’apaisement, la bienveillance et la douceur lui ont profondément manqué par le passé, aujourd’hui cette mère-pilier décuple de force, d’amour et de créativité pour offrir aux sien·nes la sécurité affective salvatrice et nécessaire à leur autonomie de demain.
Schaerbeek. Dans son appartement deux chambres, Evelyne, 40 ans, s’affaire : le repas à préparer, les devoirs des ados à corriger, les jouets des petit·es à ramasser. Depuis la cuisine flotte une bonne odeur de gâteau. Tandis que les grand·es s’occupent dans leurs espaces, les plus jeunes s'amusent dans le salon. Kimia, 5 ans, chante, danse et ponctue ses gestes de « regarde maman regarde ». Evelyne lui prend la main, la pose sur sa poitrine « Kimia, je t’aime beaucoup, tu le sais. Tu es le cœur de maman. Mais donne-moi quelques minutes pour parler à la journaliste comme je te l’ai expliqué. Après je serai à toi. » L’enfant sort sa tablette à dessiner et s'assied à quelques mètres. Evelyne, elle, s'installe à table, se passe la main sur le visage, replace ses lunettes et sourit. « Voilà, je suis prête à vous conter mon histoire », murmure-elle. Il était une fois le récit d’une victoire sur les violences…
La résilience comme moteur
Née au Congo en 1984, c’est à l’âge de 6 ans qu’Evelyne est séparée de ses parents pour être envoyée à l’école de la ville. Placée chez sa grand-mère, puis sa tante quelques mois après, c’est avec la sœur de sa maman que les violences entrent dans sa vie. « Là-bas, c’était la maltraitance physique et verbale, encore et encore. » Consciente de son malheur mais apeurée à l’idée de provoquer des conflits au sein de la famille, la jeune Evelyne garde tout pour elle. « Ma maman venait me rendre visite, mais je ne disais rien, je ne voulais pas créer de problèmes. » Les années passent dans la souffrance et le silence. À l’école, la fillette se montre turbulente ; elle a besoin de décharger, mais les adultes ne prennent pas la mesure de ses maux. À 18 ans, Evelyne quitte ce foyer violent et part suivre des études de sciences infirmières. Petit à petit, elle se reconstruit : elle trouve un emploi, un logement... Un jour, elle rencontre un homme venu de Suisse, une idylle commence. « Il était au Congo pour des vacances. Je me suis dit que cette relation serait une bonne manière d'échapper à tous les problèmes de mon enfance. » Des rêves pleins la tête et le cœur, elle décide de le rejoindre en Europe.
Sortir de l’emprise
C’est en 2010 que la jeune femme arrive à Genève enceinte de sa première fille, Urielle. Dans ce nouveau pays, sur ce nouveau continent, tout est à découvrir. Le couple se marie et attend un deuxième enfant. Si au début tout se passe bien, la relation se détériore rapidement. Le conjoint exerce sur Evelyne une véritable emprise. Empêchée de travailler, isolée socialement, coupée de ses droits individuels : elle se retrouve cantonnée au foyer. « Je rêvais de mon chez-moi, avec mon mari, mes enfants... Je pensais que ce chapitre allait me permettre de me sentir plus calme, mais l’histoire des violences psychologiques s’est répétée… Cet homme voulait me contrôler, mais moi je suis libre, personne ne peut me contrôler. » Pour survivre à cette tentative d’enfermement, Evelyne se voit obligée d’échafauder un plan, une issue. Pendant des mois, en secret, elle met un peu d’argent de côté. Un matin, tandis que son mari est au travail, elle prend la fuite avec ses enfants. « Je n’aurais pas pu les laisser : mes enfants, c’est ma vie. »
Avancer coute que coute
Ses deux petit·es dans les bras, Evelyne arrive en Belgique où elle s’installe chez un membre de sa famille. Elle prend contact avec Caritas qui l’accompagne dans ses démarches d’urgence : de logement, de scolarisation des enfants et de titre de séjour. Le temps passe. Encore une fois, il lui faut recommencer à zéro et tout reconstruire. « Bien sûr que c’était terrible, mais à quoi bon se morfondre ? J’avais mes petit·es avec moi, je ne pouvais pas me laisser aller. Je devais me battre. Je me suis relevée, j’ai regardé vers l’avant et j’ai continué. » Elle finit par refaire confiance aux hommes. L’un de ses amis devient son amant. Le couple s’installe. Mais après la période ‘lune de miel’, le cycle des violences reprend. « La première fois qu’il a levé la main sur moi, c’était deux semaines après mon accouchement de Kimia. J’ai pensé que les choses allaient se calmer, mais quand je suis tombée enceinte de Samuel il a recommencé et encore plus violemment. Je me suis dit que ça ne pouvait pas continuer. Je lui ai demandé de partir et comme il ne voulait pas, j’ai pris mes clics et mes claques. » Nouvelle fuite, nouveau départ. Voilà quatre ans désormais qu’Evelyne vit dans son appartement schaerbeekois avec ses quatre enfants qui ont respectivement 14, 12, 5 et 4 ans. Elle les élève seule à 100%. Visage ouvert, elle déclare : « pour moi ce n’est pas ‘pas facile’, c’est normal. Je suis de nature forte d’esprit. Dans n’importe quelle situation, j’avance, j’avance seule. Ça ne me dérange pas, c’est comme ça. »
Des enfants extraordinaires
Outre les violences qui se sont révélées multiples, Evelyne affronte depuis quelques années un autre défi : l’autisme de ses trois plus jeunes enfants. « Quand Yann mon grand a été diagnostiqué autiste, dans un premier temps, j’ai vraiment été sous le choc. Cette nouvelle était trop forte pour moi. Je me suis dit ‘c’est quoi cette épreuve encore ?’ » Alors, face à l’effondrement, comme toujours, c’est en elle qu’elle trouve la puissance et les solutions aux obstacles. Pour pouvoir accompagner son fils, du jour au lendemain, Evelyne met sa vie en suspens. Elle arrête la formation qu’elle est en train de suivre et clôture ses contrats intérimaires. « Je n’ai pas eu le choix, car je devais m’absenter à chaque fois pour me rendre chez les spécialistes : psychomotricienne, logopède, ergothérapeute, psychologue... J’ai voulu faire le maximum pour aménager les choses autour de lui, notamment à l’école, je ne voulais pas qu’il doive subir de changements en raison de ses différences. » Aujourd’hui, Yann a 12 ans et se passionne pour l’informatique et les langues. « Il va rentrer en secondaire. Il travaille super bien, plus qu’un enfant ordinaire. Quand je le regarde, je me dis que je suis fière d’avoir tout arrêté pour l’accompagner et qu’il devienne celui qu’il est aujourd’hui. L'autisme, c’est juste une étiquette, ce sont des enfants un peu spéciaux c’est vrai, mais absolument magnifiques. »
Un agenda-tétris, une vie de soins
Kimia et Samuel ont également été diagnostiqué·es sous le prisme de l’autisme. Kimia est une enfant très éveillée, mais parfois agitée, et Samuel ne s’exprime pour l’instant pas de manière verbale. Si le quotidien se révèle particulièrement rythmé, Evelyne se montre très disponible pour chacun·e. Les répétitions, les explications de chaque démarche pour éviter les surprises, le calme face à toutes les situations : elle adapte minute par minute son comportement aux besoins spécifiques des sien·nes. « Samuel, je l’ai accompagné tous les jours pendant deux ans à l’hôpital des enfants à Laeken. Mais avant je devais déposer Yann et Kimia à l’école à Saint-Gilles. Tout ça en transport en commun…. On sortait de la maison à 6h30, mais on y arrivait ! Quant à Urielle, elle a appris très jeune à être autonome. » Entre les entretiens médicaux, les rendez-vous scolaires, les thérapeutes, les courses... Evelyne ne s’arrête pas une seconde. Pourtant, elle ne se plaint pas, que du contraire. « Mon souhait c’est que mes enfants deviennent autonomes et puissent s’intégrer et trouver leur place dans la société malgré leur handicap. Pour le reste, c’est la vie : mes enfants sont dans le besoin, je dois être là, je dois les accompagner. »
Le calme intérieur
Entre ses obligations, Evelyne trouve parfois une bouffée d’air à travers le Petit Vélo Jaune. « J’ai entendu parler de l’association par mon assistante sociale du CPAS et par l’hôpital. Anne-Flore, ma coéquipière, vient tous les jeudis, ça se passe très bien et me permet d’échanger aussi avec une autre adulte, et pas qu’avec les enfants. » Face à tous les tracas, Evelyne garde la tête froide et se révèle d’une résistance époustouflante. Une problématique cependant n’en finit pas de la ronger : la question du logement. « Je suis inscrite depuis 2015 pour un logement social, mais il y a une file d’attente énorme... » En patientant, c’est dans ce deux chambres que la famille s’organise. Les ados ont leur chambre, les plus jeunes dorment avec leur mère dans le divan qui le soir venu se transforme en lit. « J’espère trouver un appartement plus adapté bientôt ; c’est ça l’urgence, pour les autres problèmes, je n’ai le temps ni l’espace d’y penser. Je suis en mode survie, mais quoi qu’il arrive je reste calme, je ne m’agite pas, je ne panique pas ; je gère. Voilà, c’est mon histoire, notre histoire. » Kimia s’approche et prend sa mère par le cou. « Maman t’a fini avec la journaliste ? » Evelyne l’embrasse. « Kimia, tu es le cœur de maman, tu as été très sage : merci. Tu vois, je suis à nouveau à toi. »